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RETOUR QUELQUES
JOURS POUR DECOUVRIR LE «FLEUVE DES FLEUVES »
Eric Messier © (Mali)
Publié dans
le quotidien
Son nom provient de l’expression berbère gher-n-igheren :
Niger, le fleuve des fleuve. Les Maliens en sont non seulement fiers mais aussi
largement tributaires pour leur subsistance.
Avec son immense boucle née
dans le massif du Fouta Diallo, en Guinée, qui va se jeter
Le fleuve-roi a donné au Mali, depuis les grands royaumes soudanais et
jusqu'à nos jours, une source de vie sans prix entre la savane et le Sahara,
qu’il continue de narguer. Par-dessous tout, il est un axe privilégié de
pénétration, de commerce et de communication dans ce pays, devenu l’un des plus
pauvres du monde.
Le Niger est aussi, et cela
n’a rien pour nuire, un long fleuve
tranquille d’une très faible dénivellation qui a attiré nombre
d’aventuriers et de touristes, une fois passés les grands explorateurs des 18e et 19e siècles : Laing, Barth et Caillié, surtout, qui a
« découvert » la mystérieuse Tombouctou, porte du désert. Son cours
reporté sur des cartes, le Niger a aussi été un facteur déterminant de la
pénétration coloniale de la fin du 19e siècle.
Sur les traces des explorateurs et du commerce
Aujourd’hui, le Niger est
revenu à ses fonctions pacifiques. La fébrilité du port de Mopti nous rassure
sur sa vitalité : le Niger est toujours l’artère vitale de l’économie du
Mali avec le poisson, les engins de pêche, les céréales. On y vient
couramment du Burkina-Faso et de
En décrue, ces géants
tombent en cale sèche, pinasses et pirogues ont alors la voie libre. Mais
attention : tout devient hasardeux ! En avril, par exemple, quand le
Niger est à son plus bas niveau, il faut compter au moins sept jours et autant
de nuits (passées dans les villages riverains) pour vaincre les
Avant d’embarquer sur une
pirogue pour quelques jours, il faut négocier le coût et les services. C’est
l’Afrique : tout se négocie, c’est même la règle. Les structures
touristiques sont encore de type informel : le voyageur peut choisir sur
place son piroguier et négocier avec lui. La proposition de Adama Kassé est
raisonnable : 13 000 FCFA (34.00) par jour et par personne, jusqu'à quatre
ou cinq jours.
Le fleuve est calme et d’un
émeraude translucide. C’est avril : le soleil est implacable, il fait 40
celcius mais il y a un vent modéré. Nos deux jeunes piroguiers, Mohamed et
Amouen, qui font la cuisine à même la pirogue, ajustent le toit de paille,
embarquent les vivres, riz, nouilles, eau potable, thé (nous trouverons le
poisson chez les pêcheurs croisés sur le fleuve), mouillent les longs bâtons
qui nous pousseront: on peut y aller. Le voyage sera même reposant, inch Allah ! Amouen, découpé au
ciseau, chantonne dans sa langue et celle de 15 millions d’Africains, le
bamana. Mopti mérite bien son titre de Venise
du Mali.
Nous empruntons d’abord le
fleuve Bani, qui baigne Mopti, là où il se jette dans le Niger, dont il est en
fait le seul affluent, sur sa rive droite: ceux qui ont existé jadis à l’ouest
sont disparus sous l’avancée du désert.
Premier arrêt, un petit zoo
sans nom où nous sommes reçus selon la tradition malienne par Alhousseyni
Toure. Quelques crocodiles et tortues enlevés au fleuve, un grand singe. Il
nous donne sa carte. Il espère des fonds du secteur privé car le gouvernement a
d’autres bêtes à fouetter. Mais Toure se débrouille déjà bien : pour faire
une photo, c’est 500 FCFA (1.50) !
Bientôt, la pirogue
bifurque pour emprunter un des nombreux bras du Niger. Pas de bruit de moteur,
les rivages sont déserts: l’eau est tellement basse (jusqu'à
De fait, cette aventure
permet un contact approfondi avec le vrai pays ; les rives qui défilent à
portée de voix livrent les visages d’une vie quotidienne qui reste non troublée
par le passage du bateau. C’est surtout le Mali d’hier qu’on découvre
ainsi : villages en roseaux et cités fortifiées, grandes mosquées de
banco, escales de pirogues marchandes. Dans le delta central, très large
secteur inondable, les marchés locaux sont rapprochés. Ils constituent un
réseau géographique mis en place au cours de la période coloniale et dont les
mailles ne mesurent pas plus de
On se plaît à imaginer les
mêmes pirogues et pinasses il y a plusieurs siècles, chargées de marchandises
fabuleuses destinées au carrefour commercial de Tombouctou mais souvent
transigées, comme aujourd’hui , dans les villages riverains, fondées et
encore habités par les autochtones Bozo, Peuhl, Songhaï, Marka.
Sur notre pirogue de quatre
tonnes (la limo) faite de lengo par les Bozo de Mopti, seuls nos
vêtements et baladeurs, de même qu’une antenne de télécommunication par delà
les rives dénudées, sauf quelques vaches et moutons broutant de rares herbes,
témoignent que nous sommes quelque part à la fin du 20e siècle.
Pourquoi s’en formaliser ? Sur la très officielle carte d’identité
nationale de Mohamed on lit pour toute date de naissance : vers 1976. C’est un peu ça aussi l’Afrique.
C’est l’heure du dîner.
Riz, poisson, et l’incontournable rituel national du thé: il revient au plus
jeune de préparer la délicieuse infusion en trois étapes : la première,
plus corsée, se veut amère comme la mort et la dernière, douce comme l’amour.
Une nuit au village
Il est 17 heures, nous
arrêterons cette nuit au village de Sare-Seyni. Amarrer la pirogue, délester
l’équipement, marcher jusqu’au village, à 800 mètres (décidément, le
fleuve a soif !), salutations et politesses d’usage, les gens sont heureux
de nous voir. Le même accueil chaleureux dans ce village calme, sans
électricité ni eau courante. Nous partageons le repas de poisson. Des enfants
avec leurs petits seaux patientent : « « Allah
karibou », la charité. Il se régaleront de nos restes. C’est la forme
que prend ici ce que nous appelons chez nous l’assistance sociale. Par ici,
personne ne sera jamais assez pauvre pour laisser autrui mourir de faim ;
c’est d’ailleurs une loi coranique. Ce qui n’en est pas une, c’est l’offre
« traditionnelle », acceptée par Mohamed, de passer quelques bons
moments avec « la fille » du village, moyennant quelques milliers de
FCFA. Nous dormirons sous un ciel sans lune ni nuages, à la belle étoile.
D’innombrables étoiles.
Au matin, une vingtaine de
villageois honorés nous raccompagnent à la berge. Echange de cadeaux, noix pour
nous, comprimés d’ibuprophène pour l’arthrite de la vieille Aminata. C’est vrai
qu’ils nous appellent les toubabous (Blancs) à cause des premiers explorateurs européens qui comptaient souvent des
médecins, les toubibs.
Nous nous souviendrons
aussi du grand village de Kotaka, pourtant sorti de nulle part, pour son énorme
et magnifique mosquée extrêmement symétrique et parce que c’est la première
fois que nous mangeons un poulet attrapé par nous-mêmes, à la demande de la
villageoise elle-même.
Quelques grandes oies aux
ailes bleues, enfin, et ces oiseaux pêcheurs que les Songhaï appellent chancharou (mouettes du Niger), en
immense attroupement qui s’enfuit d’un vol divinement synchronisé. On jurerait
un seul organisme dansant un ballet syncopé, ondulant selon les caprices du
vent. Au loin dans la tranquillité, deux tornades blanches, spectacle commun
par ici, complètent le tableau surréaliste. Voilà Mopti, la plage.
Tiens, c’est jour de baignade.
(Originalement publié dans le quotidien La Presse) |
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Copyright © 2015 Éric Messier, textes et images |