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COBAYE HUMAIN : UN MÉTIER D'AVENIR ?
Éric Messier © Publié dans le quotidien
Les compagnies de recherche sur les médicaments font des
affaires mirobolantes depuis quelques années. Jusqu'où iront-elles pour honorer
la productivité commandée par les géants pharmaceutiques? Et jusqu'où, pour
quelques centaines de dollars, iront leurs volontaires recrutés dans les pages
sportives des journaux? Un journaliste s'est prêté jusqu'au bout au jeu du cobaye humain.
Malheureusement, tout
le monde n'a pas eu la même chance, malgré les soins et l'encadrement que le
personnel de Phoenix accorde à chacun. À
l'heure de la toilette du soir, une faible voix s'est fait entendre d'un cabinet
de toilette voisin du mien. Entre deux profonds vomissements, visiblement en
difficulté, le quidam m'a adressé la supplique suivante: « Hé, s'il-te-plaît, irais-tu me trouver une infirmière? »
Aussitôt informée,
celle qui était de service ce soir-là n'a pas jugé nécessaire de se déplacer.
Se contentant d'un geste entendu de la main, elle a simplement dit: « Ça va, tout est correct. » Elle était déjà au courant et ne semblait pas
inquiétée du sort de l'homme qui, de fait, s'en est vite remis. Il faisait
partie du groupe de cobayes pour un médicament appelé l'asasentine, composé de
persantine (inhibiteur des plaquettes sanguines) et d'Aspirine, un
anticoagulant. Apparemment sans danger.
Inoffensif ou non,
sept des 21 volontaires ont subi des effets
secondaires, vomissements, diarrhée et migraines tels que l'étude a dû être
avortée après quelques jours. Chacun a reçu son congé, assorti de la forte
rétribution initialement prévue: plus de 2000$ pour une dizaine de jours. J’avais vu l'un d'eux quitter en civière dès
le début, sous les yeux du médecin et d'une poignée d’autres participants
inquiets. Le lien entre son malaise et le médicament n'a pas été établi
clairement mais l'épisode aura démontré que Phoenix ne badine pas avec la santé
des participants.
Un jeune homme
espérait même faire six études en six mois pour financer son voyage en
Thaïlande, mais ce ne sera pas possible: il devra respecter un mois de pause
entre chaque étude. D'autre part, Phoenix, à l'instar de
La plupart, sauf
Labopharm et Quintiles, sont mandatées par les grandes compagnies
pharmaceutiques pour réaliser des tests sur des médicaments génériques, des
« copies conformes» mises sur le marché dès que le brevet de l'original
est échu, après une dizaine d'années au Canada. Les génériques doivent cependant faire leurs classes: études
pharmacocinétiques et pharmacodynamiques; études de bioéquivalence et de
biodisponibilité. C'est ainsi, par exemple, que maintes variétés de comprimés
d'acétaminophène sont apparues à la suite des Tylenol. Les activités de ces
laboratoires, incluant quelquefois des tests sur les animaux, sont soumises au
contrôle et à l'approbation des autorités gouvernementales en santé.
L'industrie des
médicaments génériques, subordonnée à celle déjà grassement lucrative des
produits d'origine, est devenue un monstre dont les ventes globales excèdent
les 30 milliards de dollars.
L.A.B. est l'autre
géant québécois. Ce mutant est né en 1996 quand Clintrials, au Tennessee, a
acheté Bio-Recherche, qui emploie quelques centaines de personnes à Senneville
depuis une quinzaine d'années. Bio-Recherche, compagnie sans dettes, pionnière au Québec, génère des revenus annuels de
l’ordre de 40 millions$. La transaction de 65 millions US$ a été réglée «cash », sans causer de tensions,
au contraire, et la direction de Bio-Recherche est restée bien en selle.
Labopharm,
constituée en octobre 1990, aussi cotée en bourse, a connu une année
phénoménale en 1995: en l'espace d'un an, son
chiffre d'affaires a fait un bond de 500%, passant de 816 000$ à 4,8
millions$. Ses activités sont principalement liées aux utilisations du
Contramid et du Liamid, des technologies découvertes à l'UQAM en 1990 et
brevetées par Labopharm en 1994 au coût de 6 millions de dollars.
La toute jeune Anapharm, apparue timidement à
l'Université Laval en 1994, emploie plus d’une centaine de personnes et son
chiffre d'affaires a doublé dès sa 2e année d’existence, passant à
2,2 millions$. Son P.D.G. Marc LeBel
avait alors déclaré: «Nous voulons
contribuer à ce que la région de Québec devienne une mini-capitale de la
recherche pharmaceutique et biomédicale en Amérique du nord.» Le défi n'est
pas mince mais la petite entreprise a les coudées franches hors de Montréal.
En 1995, Quintiles,
un géant américain, a surgit sur la scène canadienne avec l'acquisition de
Benefit Canada, compagnie torontoise venue s'installer à Montréal en 1993. Le
Québec a la réputation d'être accueillant envers les firmes de recherche.
Tout est chronométré,
tout est surveillé, rien n'est laissé au hasard, dans l'intérêt des sujets
comme celui de la compagnie. Les clients de Phoenix, magnats de la dragée, ne
sauraient tolérer le moindre accroc au protocole lors de leurs visites de
surveillance impromptues.
Ces compagnie font du
recrutement dans les journaux, en y mentionnant la durée de l'étude et la somme
versée, mais pas le médicament testé: de toute façon, la plupart des
participants s'en préoccupent guère. Le contrôle de sécurité commence dès le
premier appel, avec un questionnaire médical. Ne devient pas cobaye qui veut!
Une fois cette étape passée, le sujet est convoqué à un examen médical complet.
S'il fait l'affaire, et surtout si son sang est sain, il peut commencer l'étude
dans les 15 jours.
Dès l'arrivée à
Saint-Laurent, on est fouillés: pas de médicaments, pas de cigarettes en
certains cas, pas de nourriture ni de bonbons, pas d'objet contondant pouvant
devenir une arme. On nous interroge sur notre consommation de médicaments,
d'alcool, de caféine, de drogues illicites. On reçoit un bracelet numéroté
déterminant durant toute l'étude l'ordre selon lequel on reçoit à manger (30
minutes piles pour chaque repas), absorbe le médicament, subit les prélèvements
sanguins selon un horaire établi à la minute près. Au moindre malaise, un
rapport est rédigé. Le personnel et les sujets entretiennent des relations
presque conviviales, à des lieux de
l'infirmière castrante de «Vol au-dessus
d'un nid de coucous»!
En fait, la vie en
clinique rappelle vaguement celle d'une auberge
de jeunesse : chez Phoenix, les dortoirs comptent chacun huit couchettes et
on dispose de quatre télévisions, d'autant de lecteurs DVD, de deux fumoirs
fermés, de deux tables de billards, de jeux de société et on reçoit les
journaux à chaque matin. Normal que pour
des sujets retenus en clinique, le principal irritant, après celui des
ponctions répétées, consiste à lutter contre l'ennui! Une balade dehors?
Peut-être, mais en groupe et sous surveillance. Après le séjour en clinique, il faut parfois revenir dans les jours
suivants pour des prises de sang additionnelles. Question de s'assurer de la
fidélité des sujets, des sommes de 40$ comptants leur sont octroyées aux deux
jours et le solde n'est remis qu'à la toute fin sous forme de chèque. Aucune
déduction, aucun impôt, ni vu ni connu.
Alors, pour les
volontaires, tout va pour le mieux et vive l'entreprise libre? Ce n'est pas si
simple. Pour certains, en difficultés financières, il s'agit d'un dernier
recours peu édifiant, un cadeau réellement empoisonné dont l'enjeu est leur
dignité et leur intégrité. L'un d'eux dira: «Bien
sûr, c'est mon choix de venir et je suis libre de partir n'importe quand, mais le choix est moins libre quand on
a besoin de cet argent. » Un autre fera preuve d'un humour noir éloquent en
voyant un préposé changer les draps des couchettes: «Tiens, ils viennent nettoyer nos cages! » ou un autre, s'adressant
au groupe: «Ma gang de BS, avez-vous hâte
d'avoir votre paie pis sacrer votre camp? » L'infirmière dira de lui: «Encore un caractériel... Je ne comprends
pas qu'ils en laissent encore passer. »
Or, les compagnies de
recherches jouent habilement avec les derniers mots de cet article,
déplore Trudo Lemmens, spécialiste en
droit et bioéthique. Membre d'un groupe de recherche sur les essais cliniques à
l'Université McGill, celui-ci croit que la loi doit être révisée et qu'elle a
été pervertie par la commercialisation outrancière de la recherche: «Les montants offerts n'ont plus rien à voir
avec une simple compensation et ressemblent plus à une rémunération; cela est
interdit par
Ainsi, des vertus telles
que la liberté et l'altruisme deviennent des pucelles souillées quand l’argent
a tôt fait d'exercer son vil attrait. Un
projet de guide d'éthique publié par trois groupes, dont le Conseil de
recherches médicales du Canada, évoque ce danger : « L'altruisme qui devrait inspirer la recherche est nié quand des
sujets n'acceptent de participer qu'en échange d'une rémunération (...) L'éthique de la recherche n'est pas celle du
marché et les chercheurs qui tentent de recruter des sujets à rabais, tout
comme les sujets courant les projets mieux payés, agissent en ennemis de
l'éthique et de la science. » Le même document dit, à la règle
10.1 : «Les sujets ne doivent pas être incités par une rémunération à prendre des risques qu'ils refuseraient
en temps normal.»
Ainsi, le document Guidelines for a good clinical practice prévient que les volontaires plus vulnérables devant l'appât de l'argent et requérant donc une attention particulière comprennent les gens sans emploi ou à faibles revenus, ceux souffrant d'une maladie incurable ou vivant en maison d'accueil et les détenus. Selon des volontaires
que nous avons questionnés, il existerait à Boston un laboratoire proposant une
recherche très audacieuse digne d'un scénario de Stephen King : pour
tester des techniques en cardiologie, on provoquerait chez le sujet un arrêt
cardiaque pour ensuite le réanimer. Bien
lire les petits caractères du protocole! La compensation, s'élèverait
à plus de 50 000 US$, selon ces témoins.
Aux États-Unis, on a
enregistré des décès chez des participants. Le risque est donc réel mais ce
n'est même pas un secret : Bio-Recherche en avisait les volontaires avec
une morbidité sans pudeur dans son étude numéro 28937: « Avec tout médicament, des
effets sérieux et inattendus, incluant la mort, sont
toujours possibles. »
Le « consentement
éclairé » exigé par Phoenix stipule qu'aucune compensation additionnelle
ne sera versée aux volontaires « en
cas de traumatisme», la compagnie limitant son rôle à un suivi médical. «Cette déclaration suggère faussement qu'on ne peut jamais
réclamer de dédommagement, estime Trudo Lemmens. Les riches compagnies
demanderont-elles à la société d'absorber les coûts de ces traumatismes? Précisément, l'article 1474 du Code
civil interdit à quiconque de « limiter
ou exclure sa responsabilité pour le préjudice corporel ou moral causé à
autrui.» en précisant qu'on ne peut déroger, par contrat, de cette règle qui ne s'applique toutefois que si le préjudice résulte d'une erreur
d'exécution des chercheurs. Mais allez savoir !
Les poursuites
intentées dans le passé par des traumatisés auront servi de leçon. Au Allen
Memorial de Montréal, des volontaires d'une étude en psychiatrie menée il y a
plus de 40 ans ont été dédommagées plusieurs années plus tard pour des
séquelles permanentes, après avoir eu gain de cause contre l'équipe de
chercheurs du Dr Cameron.
Quant aux protocoles,
ils doivent être soumis à un comité d'éthique dont le rôle est d'assurer la
sécurité et le respect des droits des volontaires, comme le recommande
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Copyright © 2015 Éric Messier, textes et images |