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la pandémie, une mission devenue possible
L’AFRIQUE ET LE SIDA : L’HEURE DES CHOIX ECLAIRÉS
Eric
Messier ©
Bamako
(République du Mali)
L’Afrique
populaire, longtemps incrédule face au sida dont elle faisait un mythe,
survivra-t-elle à la gifle que le « mythe » lui a servi au plus fort de
l’épidémie?
Selon les
observateurs, tout dépend maintenant
de l’attitude des Africains. Les jeunes, en bonne partie ; les
gouvernements, particulièrement. La dure réalité s’est imposée
d’elle-même : nier le phénomène ne s’est pas avérée une stratégie
adéquate, c’est le moins qu’on puisse dire. Pendant longtemps, par
exemple, certains pays n’ont pas publié leurs statistiques, les ont
même manipulées ou cachées, carrément.
Mais le vent a
tourné. Ces dernières années, plusieurs états africains sont passés peu
à peu de la négation et du silence à l’acceptation positive ; presque
tous ont reconnu pour la première fois l’existence de cette menace. La
Zambie, pour l’une, a franchi ce pas le jour où le président Kaunda a
annoncé à la télévision que son fils était mort du sida. Dans cette
foulée, des programmes de prévention, d’éducation et des études
épidémiologiques sérieuses sont enfin apparus.
Les chiffres
officiels sont apparus plus réalistes, même si le nombre réel de sidéens
restait et demeure toujours bien supérieur à ces données. On s’entend
pour dire que pour chaque cas de sida enregistré, il y aurait de 50 à
100 personnes séropositives. L’Afrique centrale
(Tanzanie, Malawi, Lésotho, Ouganda, Zimbabwe, Rwanda, ex-Zaïre, Congo,
Zambie) est clairement la plus touchée, avec des taux de séropositivité
de 5% à 20%, selon des chiffres de World Aids. Pour ces pays et
l’Afrique en général, le nombre de nouveaux cas de sida augmente
annuellement à coups de milliers depuis 1985.
Les chiffres ont
aussi montré que, contrairement à la croyance, les milieux ruraux, base
de la société africaine, peuvent être aussi durement touchés que les
villes et parfois plus, comme c’est le cas en Ouganda et en Tanzanie.
Dans certains pays, enfin, le nombre de cas de sida peut doubler en
moins de 19 mois.
Les variantes régionales de
la mort
Voilà le dur
portrait de l’Afrique centrale. En Afrique de l’Ouest, il l’est moins et
pourtant, c’est de là, au Mali, qu’est venu dès 1987 un plan d’action
avant-gardiste. Le Mali est le plus
grand pays d’Afrique de l’Ouest avec une superficie proche de celle du
Québec. Il compte 10 millions d’habitants dont la moitié a moins
de 20 ans. Il est l’un des plus pauvres au monde : il n’a surtout pas
besoin de voir ses forces vives fauchées par le sida.
En 1987, avant
même l’accession du Mali à la démocratie (les premières élections
multipartites ont suivi le coup d’état du 26 mars 1991) le Programme
National de Lutte contre le Sida (PNLS-Mali) créait à Bamako un bureau
de coordination avec le mandat d’intervenir à la grandeur du pays et sur
plusieurs niveaux. Il fallait surtout procéder à une mobilisation sans
précédent de ressources. Il fallait une fois pour toute décentraliser
l’action contre le sida, la rendre pleinement multidisciplinaire et
intégrée au plan de développement et surtout lui adjoindre des
intervenants de tous les secteurs, privé, public, ONG, groupes
communautaires. Les principaux fronts : traitement des MTS; éducation -
information - communications, avec en tête la promotion du préservatif ;
prise en charge des personnes vivant avec le VIH ; sécurité dans les
transfusions sanguines.
Un plan d’action en chiffres
Le gouvernement
malien, avec ses maigres ressources, n’injectera en 1998 que 40
millions de Francs CFA (100 000 dollars) dans ce programme, mais il
couvrira aussi tous les salaires ainsi que les locations et les frais
de bureaux. Il a aussi emprunté 1,4 millions US à la Banque Mondiale en
1993. Le Canada, pour sa part, contribue au projet avec une aide
substantielle de 2,2 millions provenant de l’ACDI et destinée au volet
MTS.
Le coordonateur
national du PNLS-Mali, le
médecin-biologiste Yeya Issa Maiga, se réjouit de voir que tout
cela a porté fruit : « Les résultats, de notre point de vue, sont
spectaculaires ». Et il fait parler les chiffres : «En 1992, les plus
touchés au Mali, contrairement au Canada, étaient les femmes et les
18-40 ans ; en 1994, une étude de la Banque Mondiale a mis en lumière
un changement clair du comportement des jeunes se responsabilisant,
même si l’épidémie continuait. »
«Quant à
l’enquête démographique de la Banque Mondiale, elle a montré que 96%
des gens pouvait nommer deux moyens de préservation ; c’est une grande
victoire. » On rapporte enfin que la comparaison de deux enquêtes réalisées à cinq
ans d'intervalle auprès de 500 femmes enceintes et de 500 prostituées a
montré une baisse de la prévalence du VIH : de 4% à 2,8% chez le premier
groupe et de 55% à 28% pour le second. Des chiffres étonnants, porteurs
d’espoir. Déjà, en 1993, une recherche du PNLS avait recensé 5,6% de
séropositifs sur un échantillon de 5500 personnes.
Au Mali, on a «
officiellement » dénombré 1874 cas de sida entre 1986 et 1995, contre
près de 3000 au Québec. Chose certaine, ces chiffres ne reflètent qu’une
partie de la réalité. Quant aux risques reliés aux dons de sang, les
tests de dépistage sont maintenant systématiques au Mali mais ne sont
pas faits à l’insu d’un patient ; dans ce cas il faut son autorisation.
Détruire le mythe
Le sida reste-t-il un mythe sur ce
continent ? Maiga ne le croit pas : « Les Africains ont été pris
par surprise par le sida, mais ils sont aussi ceux qui ont eu la plus
vive réaction ; ils sont hautement responsabilisés aujourd’hui. En Ouganda, par
exemple, un pays durement frappé au début de l’épidémie, la situation
s’est stabilisée et il est devenu un modèle pour ses voisins dans sa
lutte pour freiner la propagation.»
« Quant aux
jeunes et même les prostituées, ils ont enfin compris les messages de
prévention », soutient le coordonateur. «Faites le test en sortant
d’ici : demandez à une prostituée d’avoir un rapport non-protégé ; à
coup sûr vous essuierez un échec. » Il est vrai que les excuses tiennent
moins depuis que les condoms sont disponibles partout à environ 30 cents
l’unité (100 Francs CFA). Le tournant à cet égard a sûrement été ce
discours du président lui-même, en 1993, alors qu’il était apparu à la
télévision tenant, bien haut, une capote à la main.
On imagine aussi
le défi que cela a dû être de rallier jeunes et prostituées à un
message tel que celui affiché sur ces panneaux le long de toutes les
routes du pays : « Le sida tue, ensemble vainquons le sida : fidélité,
abstinence, prévention. »
La polygamie n’est pas la
coupable
Le Mali est un
état majoritairement musulman et la polygamie est une pratique
courante. Un homme peut donc avoir plusieurs femmes durant sa vie. Mais
le problème n’est pas là, selon le docteur Maiga : « Il n’a jamais été
établi que c’était un facteur de propagation du sida ; les familles
polygames sont souvent fermées sur elle-même, elles sont donc à faible
risque, sauf si le mari polygame voyage : c’est ainsi que le sida quitte
la ville pour apparaître en région. »
Voilà donc le
nouvel adversaire des intervenants du Mali : la mobilité des Maliens.
Ils sont ceux qui migrent et voyagent le plus en Afrique de l’Ouest. Le
plan stratégique de quatre ans du PNLS arrive à terme en 1998, ces
données forceront le réaménagement de la stratégie.
Par ailleurs, la lutte au
sida dans les prisons africaines est un problème qui reste entier. La première Conférence internationale
sur le VIH/sida dans les prisons en Afrique de février 1998 n’a pas su
apporter de réponses définitives à de nombreuses questions aussi
cruciales que délicates : faut-il mettre des préservatifs à la portée
des détenus, procéder à un dépistage à l’entrée, isoler un détenu
séropositif et soigner un sidéen au même titre qu’un citoyen libre ?
Si les chiffres
montrent l’urgence d’agir contre le sida en Afrique (9,7 millions de
morts et 20,8 millions de personnes vivant avec le VIH en Afrique
subsaharienne), les données concernant le monde carcéral sont tout
simplement inexistantes. En Afrique comme
ailleurs, ce milieu est propice à la propagation du sida : les détenus
proviennent des couches défavorisées et sont donc plus vulnérables, la
surpopulation des prisons favorise la promiscuité et augmente le
risque. Et si l’état n’a pas toujours les moyens de soigner ses
malades, on comprend que les prisons, qui ferment parfois carrément
faute de budget, ont d’autres priorités que le soin de leurs sidéens.
Enfin, il reste
un obstacle majeur, en voie d’être surmonté dans le monde occidental
mais qui persiste en territoire africain. Cet obstacle, bien
simplement, c’est le puissant tabou entourant l’homosexualité. Nombre
d’Africains n’admettent tout simplement pas qu’elle existe chez eux.
Cette attitude a même été observée chez les participants de la
Conférence de février au Sénégal. En fait, ce comportement sexuel est
encore illégal dans certains états africains, comme il l’était au
Canada jusqu’en 1969.
C’est ce qui a
amené le docteur Marcel Massanga, qui dirige le PNLS centrafricain, à
conclure comme suit, lors de la conférence : « Le virus n’attend pas le
changement des textes de lois ; dans une situation de catastrophe telle
qu’aujourd’hui, il faut savoir dépasser les règles ; la loi peut
interdire l’homosexualité et les rapports entre détenus, mais en réalité
ils existent. »
La
réalité a rattrapé le fuyard...
(Originalement publié dans le mensuel RG)
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